Anne-Sophie M.
Nicolas Mangeot, muséographe de l’expérimentation et de l’interactivité
Il y a tant de façons d’appréhender la muséographie, ce domaine créatif, riche et fascinant. Mon cher Watson prend plaisir à valoriser cette diversité par les témoignages de celles et ceux qui y travaillent avec passion et engagement.
Nous avons eu la joie de rencontrer Nicolas Mangeot, un muséographe biologiste de formation inspiré par des sujets scientifiques et sociétaux qu’il souhaite partager de façon captivante et ludique avec les publics. Responsable des expositions à l’Exploradôme, un musée de découverte des sciences et du numérique situé à Vitry-sur-Seine (94), il conçoit des stations interactives entouré d’une équipe pluridisciplinaire, invitant les visiteurs et les visiteuses à découvrir ces thématiques par la manipulation et l’expérimentation.
Il nous dévoile ici son parcours, sa démarche, les valeurs et les convictions qu’il souhaite investir quotidiennement dans son travail de façon authentique et incarnée. Plongez avec nous dans son univers !

- Bonjour Nicolas Mangeot, pouvez-vous nous présenter votre parcours et ce qui vous a amené à devenir directeur des expositions à l’Exploradôme ?
Enfant dans les années 80, je parcourais régulièrement les travées fraîchement inaugurées de la Cité des Sciences et de l'Industrie, car ma mère travaillait à la médiathèque. C’est probablement à cette époque que les premières graines de sciences ont commencé à germer en moi. J’ai entamé après le bac des études de biologie et je suis ainsi écologue de formation initiale. Cette discipline scientifique embrasse tous les êtres vivants et leurs milieux et elle convoque beaucoup d’autres spécialités, de la génétique aux statistiques en passant par la biologie moléculaire. Avec le recul, j’interprète ce début de parcours comme les prémisses de ma volonté actuelle de croiser les domaines et mon goût pour les dialogues interdisciplinaires et interculturels. En fin d’étude, après avoir hésité avec le journalisme scientifique, j’ai complété ma formation avec un DESS (l’équivalent d’un master 2 actuel) de conception d’exposition à caractère scientifique et technique à Paris 13. Cette orientation a confirmé mon penchant pour la vulgarisation et le partage des connaissances.
Je suis aujourd’hui muséographe, responsable des expositions à l’Exploradôme, un centre de culture scientifique francilien géré par une association fondée en 1997 et petit frère du prestigieux Exploratorium de San Francisco. A ce titre, je suis chef de projet sur toutes les créations d’expositions ou de dispositifs isolés. A l’Exploradôme « Il est interdit de ne pas toucher ». Fidèle à ce slogan, évidemment plus incitatif qu’autoritaire, j’ai développé par ma pratique une expertise pour les dispositifs interactifs et j’ai eu la chance de pouvoir nourrir mon inspiration par la visite de nombreux centres de culture scientifique en France et à travers le monde.

- Vos expositions sont conçues pour être didactiques, interactives, ludiques et itinérantes. Quelle est votre « marque de fabrique » pour concevoir vos modules ?
Ce qui caractérise avant tout nos productions, c’est qu’elles sont entièrement réalisées en interne, du choix du sujet jusqu’à l’exploitation en incluant bien entendu toute l’ingénierie culturelle et la fabrication. Cette maîtrise complète du processus de production est rendue possible notamment grâce à l’existence d’un atelier intégré à l'Association : APIS (Atelier de Prototypage pour l’Investigation Scientifique). Cette espèce de bureau d’étude qui réalise également des projets pour des partenaires externes, parfois prestigieux comme Universcience, permet de traduire nos intentions muséographiques en dispositifs techniques fonctionnels, puis de les fabriquer. Bien entendu, nous faisons régulièrement appel à des prestataires externes pour certaines étapes (graphismes, impression, développement numérique, fabrications spécifiques...).


En ce qui concerne la muséographie, je puise souvent mes inspirations dans les installations immersives de l’art contemporain ou les dispositifs du spectacle vivant. J’aime également introduire une forte dimension ludique en inventant des jeux ou en réinvestissant des mécaniques de jeux populaires. Je ne me positionne jamais comme spécialiste du sujet traité, mais comme étant à l’interface entre les publics et les expert·es. J’essaie aussi de provoquer des rencontres et de susciter des synergies, notamment entre des chercheur·es et des artistes.

- De quelles façons intégrez-vous la médiation culturelle dans le processus de création de l’exposition ?
A l’Exploradôme, la découverte se fait en autonomie, les publics sont acteurs de leur visite, mais il y a toujours une présence humaine pour les accompagner. La médiation humaine est pour nous une inestimable valeur ajoutée permettant de s’ajuster avec finesse à chaque individualité. Nous nous appuyons donc sur la diversité des expériences de terrain de nos médiateurs et médiatrices pour construire une programmation en phase avec les attentes et particularités des publics. Nous testons par exemple certains dispositifs in-vivo grâce au relais de l’équipe de médiation pour valider les principes, l’ergonomie ou les scénarios. C’est un moyen d’intégrer en amont les retours tant des équipes que des publics cibles et de communiquer sur le work-in-progress. Dans la même démarche nous développons autour des expositions des activités pédagogiques encadrées et un plan d’actions locales en lien avec l’écosystème culturel de notre territoire. Cela permet de construire une offre plus riche, qui élargit le sujet et les approches. Enfin, toutes nos expositions sont conçues pour l’itinérance. Tout est pensé pour pouvoir rapidement et facilement transporter et monter l’exposition avec un minimum de contraintes. Cela permet de donner une seconde vie à nos expositions et de poursuivre la dissémination de la culture scientifique et technique sur l’ensemble du territoire national en particulier dans des zones dépourvues d’équipement ou d’offre de ce type ou avec des moyens limités.


Atelier autour de l’exposition « En quête d’égalité – Sur les traces du racisme »
- Qu’est-ce qui vous motive particulièrement dans la mise en place d’une nouvelle exposition ?
Une nouvelle exposition, c’est bien sûr un nouveau sujet ou une nouvelle manière de l’aborder, mais c’est également une nouvelle aventure. Concevoir une exposition est synonyme de rencontres et de découvertes et c'est essentiellement cet aspect qui me motive avec le désir de le partager. Le chemin est aussi important que la destination et je pense qu’il est important de documenter et de valoriser le processus autant que l’outil final. Une exposition réussie, qui transporte, voire qui transforme les publics est probablement une exposition dont la conception nous à nous-même transporté, transformé.
L’objectif à atteindre est à mon avis avant tout de faire vivre des expériences sensibles, de laisser des traces durables, de creuser des petits sillons et d’y semer des graines. Nous sommes des jardinier·es. Nous arrosons les graines semées par d’autres et nous en plantons de nouvelles. Dans ce processus, les émotions font partie des ingrédients pour réussir la greffe. Jouer, manipuler, collaborer, débattre, prendre du plaisir, rire, pleurer, être en colère, toute cette panoplie de sentiments ou de postures à convoquer contribuent à une expérience plus riche.


- L’Exploradôme développe des thématiques d’expositions vraiment variées, issues du domaine des sciences dures tout comme celui des sciences sociales. Quels sont les sujets que vous souhaiteriez aborder dans les années à venir et pourquoi ?
Comme son nom l’indique, la culture scientifique et technique est une expression culturelle à part entière. Elle doit faire partie de nos quotidiens et de nos formations, que l’on se destine ou non à des études ou carrières scientifiques, au même titre que les cultures artistique ou littéraire par exemple. C’est d’autant plus important pour cultiver son esprit critique et jouer pleinement son rôle de citoyen·ne dans un monde aux enjeux de plus en plus complexes, tels que ceux liés au changement climatique ou la crise sanitaire que nous traversons par exemple. Nous avons besoin de croiser les regards, de faire dialoguer les champs culturels pour tenter de mieux comprendre nos existences et de les ré-enchanter.
Ainsi, selon moi un Centre de culture scientifique moderne doit être au cœur de la société. Il doit se faire l’écho des problématiques qui animent le monde et montrer en quoi les sciences peuvent contribuer à en éclairer les enjeux. C’est la raison pour laquelle je pense que nous avions toute légitimité à l’Exploradôme pour traiter ces dernières années les sujets de l’égalité filles-garçons (exposition « Super Egaux ») ou du racisme (exposition « En quête d’égalité ») par exemple. Dans cette démarche, la participation des publics au processus de création doit également faire partie de l’équation dès le début des projets. C’est un enjeu de représentativité et d’adhésion. Nous concevons les expositions pour les publics, il faut le faire avec eux. L’exposition de demain devra donc mettre en œuvre des modalités inclusive et contributive. Je l’imagine aussi « organique », au sens où chaque visite serait une expérience unique sans cesse renouvelée. L’exposition du futur pourrait aussi évoluer en fonction du temps et de l’espace afin de s’adapter à l’actualité des connaissances et aux spécificités des territoires.
En ce qui concerne les thématiques, je trouverais intéressant d’aborder des sujets de sciences cognitives. Je pense par exemple à une exposition sur ce qu’on appelle les troubles DYS (Dyslexie, dyspraxie, dysorthographie…) qui mériteraient d’être mieux (re)connus dans la société.

Nous remercions chaleureusement Nicolas pour son partage d’expérience si sincère et transparent, une vraie dose d’inspiration pour nous tous et toutes !
Pour aller plus loin, vous souhaitez :
>> Suivre les actualités de l’Exploradôme :
>> Contacter Nicolas Mangeot pour échanger avec lui ou prendre part à ses projets :

>> Découvrir « Inclusion », le podcast créé par l’Ocim, dont l’épisode 6 « Concevoir et animer une exposition inclusive » avec Nicolas Mangeot : il revient sur la conception de deux expositions : « Super égaux », sur le pouvoir de l’égalité filles-garçons en 2018 et « En quête d’égalité – sur les traces du racisme » plus récemment. Une manière d’illustrer l’engagement des équipes, et le sien, pour créer des muséographies et des médiations pluridisciplinaire, positive et inclusive sur des sujets de société.

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