Aurélie R.
La Lucarne : médiation culturelle en Suisse romande
Si la médiation culturelle a remporté en France la reconnaissance et le soutien de politiques publiques en faveur de l’éducation artistique et culturelle, qu’en est-il chez nos voisins suisses ?
Anne-Sophie Marchal est chargée de médiation culturelle et coordinatrice de projets pour l’association La Lucarne, qui développe des ateliers pédagogiques et ludiques à destination des enfants, dans une démarche inspirée de l’éducation populaire.
Elle nous présente cette structure inédite, implantée en Suisse romande.
- Bonjour Anne-Sophie, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Comme bien des acteurs culturels, mon parcours est loin d’être linéaire ! J’ai étudié l’architecture et la valorisation du patrimoine culturel à Nantes, puis je me suis rapidement tournée vers le monde de la médiation et de la coordination de projets.
Après deux expériences professionnelles enrichissantes en France, je me suis installée en Suisse alémanique il y a deux ans pour y rejoindre mon ami. Parallèlement à l’apprentissage de l’allemand, je me suis investie dans plusieurs musées et structures culturelles pour animer des visites et ateliers pédagogiques et mettre en place des événements culturels, parfois à titre bénévole. J’occupe actuellement le poste de chargée de médiation au Sensorium - Centre d’expérimentation des sens - en région alémanique, et travaille ponctuellement sous forme de mandats pour d’autres musées.
Étant quotidiennement animée par les questions d’accès à la culture, notamment du jeune public, j’ai rejoint Sara Terrier, présidente et co-fondatrice d’association à but non lucratif La Lucarne, pour coordonner avec elle les actions pédagogiques en Suisse romande.
- En quoi consiste l’activité de La Lucarne, association de médiation culturelle ?

La Lucarne est née de la rencontre entre deux professionnelles du monde culturel qui ont eu envie de rendre accessible la culture à tous, hors des institutions. En 2013, elles ont lancé La Lucarne, une association créative et dynamique, afin de promouvoir la culture sous toutes ses formes et pour tous les publics.
Aujourd’hui, l’équipe compte trois coordinatrices bénévoles et une dizaine de médiateurs culturels sur appel. Passionnés par la transmission des savoirs, nous partageons tous un même intérêt pour la médiation culturelle et une vive curiosité pour la scène artistique et culturelle.
Parce qu’elle envisage la culture comme un bien commun accessible à tous, qui aide à grandir et nous enrichit, La Lucarne organise des événements et des activités créatives à l’attention des différents publics sur des sujets variés, pointus ou généralistes, en relation avec l’actualité ou tout simplement pour suivre ses envies.
L’association encourage la transversalité des disciplines et une approche créative, pour faire de la culture une fantastique lucarne sur le monde.
Récemment, nous avons lancé le projet La Lucarne à l’école dont la mission est d’apporter directement dans les classes des dispositifs de médiation sous forme d’ateliers participatifs. Les médiateurs sont des spécialistes en archéologie, histoire de l’art, arts plastiques, sciences humaines ou littérature, qui proposent aux enfants une approche décomplexée de leur domaine. Le plaisir de partager, l’étonnement, l’émotion, l’imagination, la liberté de faire, sont au cœur de chaque dispositifs de médiation.
- Quels principes pédagogiques utilisez-vous pour construire vos programmes de médiation ?
Nos activités se sont surtout développées à destination du jeune public, qui nous inspire particulièrement. L’enfance est une période de construction durant laquelle l’individu, en plus d’apprendre à lire et à écrire, apprend à voir, sentir, écouter et penser. La culture participe de cet éveil au monde et les enfants aspirent à déchiffrer les codes d’un univers artistique et culturel pas toujours facile d’accès.
Pour développer une offre adaptée et cohérente, nous nous attachons à comprendre les goûts des enfants, leurs envies et leurs possibilités d’action en fonction des âges. Nous entendons l’imaginaire des enfants et le recentrons au cœur d’une réalité artistique et scientifique, car la culture n’est pas un concept intellectuel mais s’appréhende, se regarde et s’approche. Nous aidons ainsi les enfants à fabriquer leurs propres réponses au monde, car ce sont eux qui formeront la société de demain.

Convaincus que l’on apprend mieux en expérimentant par soi-même, nous imaginons des projets de médiation qui mettent en pratique des principes de pédagogie active. Concrètement, nous avons mis en place un catalogue d’ateliers diversifiés, à destination du grand public d’une part, et des scolaires d’autre part.

Ces ateliers se déroulent en alternance entre phases de découverte et de création, travail individuel et travail en binôme : le discours du médiateur culturel ainsi que les temps théoriques et pratiques s’adaptent toujours à l’âge des enfants. Dans le cadre scolaire, chaque déroulé d’atelier a été conçu pour répondre aux objectifs pédagogiques de chaque niveau, permettant de compléter et d’illustrer le programme scolaire conduit par les enseignants.
Nous nous engageons aussi auprès d’institutions culturelles, d’associations et de personnes privées pour lesquelles nous développons, coordonnons et animons des activités ou imaginons des supports de médiation culturelle cohérents avec leurs attentes et leurs besoins.
- Quelle est la place de la médiation culturelle dans le système suisse ?
La médiation culturelle est un domaine qui s’est développé il y une vingtaine d’année en Suisse et qui n’est pas toujours considéré comme prioritaire, notamment d’un point de vue budgétaire. Par exemple, de nombreux musées font appel à des stagiaires ou des bénévoles pour animer des ateliers ou mettre en place des événements, alors qu’un chargé de médiation en poste aurait pu s’en charger, dans une logique cohérente et pérenne de développement des activités.
En Suisse, les structures culturelles privées font le plus souvent appel à leurs fonds propres ou à des fonds privés plutôt qu’à des fonds publics. Cela est dû à plusieurs raisons :
Il n’y a pas de corps institutionnel fort au niveau de la Confédération (État) pour formuler une politique culturelle suisse. En effet, seul l'Office fédéral de la culture est en charge de cette mission, une unité administrative du Département fédéral de l'intérieur de la Confédération. La culture n’étant pas un fer de lance à cette échelle, les finances ne sont pas excessives.
C’est un pays organisé à l’échelle cantonale (régions), chaque canton est donc en charge de développer la culture sur son territoire.
Les subventions fixes, de fonctionnement, sont très rarement allouées - même demandées - car attendre de se développer grâce aux financements publics n’est pas dans la mentalité suisse.
Il y a cependant de plus en plus d’appels à projets lancés par la Confédération et les cantons pour mettre sur pied des projets de médiation culturelle. Cela permet souvent aux structures, notamment les plus petites, de développer des actions plus ambitieuses et de les encourager à promouvoir l’ouverture de leurs pratiques aux différents publics.
- Quelles sont les ambitions de La Lucarne pour les années à venir ?
Forte de ses expériences et de ses réseaux actifs (Mediamus, fOrum culture, Médiation culturelle Suisse, ICOM) La Lucarne développe sans cesse de nouvelles idées, comme le catalogue d’ateliers à destination des scolaires qui se diversifie chaque semestre. Nous multiplions aussi les stages d’été et les ateliers annuels, pour donner goût au monde de l’art aux enfants sur leur temps extra scolaire.
Nous avons aussi été mandatés pour concevoir et animer des formations d’initiation des acteurs culturels à la médiation, notamment par le biais de présentation d’outils pratiques à mettre en place dans leurs structures. Nous souhaitons poursuivre dans le domaine de la sensibilisation pour que les projets de médiation soient considérés dès la conception d’un projet, afin de mettre en lumière les différents secteurs culturels de façon interactive et passionnante auprès des publics.
Aujourd'hui, l'objectif est de poursuivre l’extension de l’association sur d’autres cantons romands, mais aussi en Suisse alémanique pour expérimenter les ateliers bilingues. Nous sommes à la recherche de coordinateurs et de médiateurs pour embarquer dans l’aventure à nos côtés !
Le plaisir, l'imagination et l'envie de partager resteront au cœur de tous nos nouveaux projets.

Merci Anne-Sophie de nous faire partager votre passion !
Edit 2020 : depuis la rédaction de cet article, Anne-Sophie a rejoint l'équipe de rédaction de Mon cher Watson, et nous en sommes ravies ! Parcourez les enquêtes, notamment dans la rubrique "Médiation culturelle" (mais pas que !) pour retrouver ces différentes rencontres En 2021, Anne-Sophie a co-fondé le collectif WOW avec Emilie Lebel, Pauline Lacaze et Cécile Bonneau
Suivez l'actualité de La Lucarne :
Sur le web : www.lalucarne.ch / info@lalucarne.ch
Découvrez les prochains temps forts de l’association :
Demi-journée de sensibilisation à la médiation culturelle La Lucarne propose aux membres du fOrum culture de découvrir les différents champs d’action de la médiation culturelle ainsi que des outils pratiques et concrets à mettre en place dans leur structure. Date : 2 octobre 2017 Lieu : Musée jurassien d’art et d’histoire, Delémont Inscriptions jusqu’au vendredi 22 septembre 2017 : info@lalucarne.ch
Les ateliers du mercredi Faites découvrir l'histoire de l'art et l'architecture à vos enfants avec les ateliers du mercredi ! Contenu, dates et inscriptions => par ici

Pour aller plus loin :
Lire les autres enquêtes de Watson sur le thème de la Médiation Culturelle
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