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  • Photo du rédacteurAnne-Sophie M.

Au croisement de l'art, de l'éducation et de la philosophie

Quel bonheur de rencontrer des professionnels.lles du monde de la médiation aussi investis.es, convaincus.es et passionnés.es qu’Emilie Lebel ! Depuis plus de dix ans, elle expérimente des formes innovantes de médiation culturelle avec une envie incroyable de partager sa fascination pour l’art et la philosophie auprès des jeunes publics. En créant son auto-entreprise Des Regards en Miroir il y a trois ans, cette médiatrice débordante d’idées a su mobiliser ses centres d’intérêts et ses compétences pour développer des formes de médiation aussi singulières que prodigieuses. Par le biais d’ateliers sensoriels, immersifs et coopératifs basés, entre autres, sur les principes d’éducation non violente et de la médiation en mouvement, Emilie souhaite valoriser l’expérience des individus en dialogue avec les arts.


Elle nous dévoile son appétence pour la médiation avec un enthousiasme communicatif dans cette interview pour mon Cher Watson : régalez-vous !



Emilie Lebel, fondatrice de l’auto-entreprise Regards en Miroir ©Corentin Fohlen

- Bonjour Emilie Lebel, quel est votre parcours et comment êtes-vous arrivée dans le domaine de la médiation culturelle ?


Voici 14 ans que j’ai mis le pied dans le monde de la médiation culturelle sans le nommer comme cela dès le départ. Après le bac, j’hésitais à travailler dans le monde du spectacle vivant ou auprès des enfants. Les ateliers théâtre au lycée m’avait fait entrevoir ce monde mais il restait inconnu pour moi. Je ne savais pas exactement ce que je pouvais y faire. De même travailler auprès des enfants, que faire lorsque l’on ne souhaite pas être enseignante ni animatrice ? En sortant du lycée, on n’imagine pas l’étendue des métiers possibles…ni même qu’on puisse les inventer ! Je me suis lancée dans une licence Histoire-sociologie (avec des options histoire de l’art et sciences de l’éducation). Trois années qui m’ont laissée le temps d’être animatrice et de faire du théâtre. Ma licence en poche, j’ai décidé de mettre mes études entre parenthèse pour un an afin de réaliser des stages : en théâtre, en compagnie, en festival. C’était pour moi l’occasion de connaître la réalité du milieu et d’échanger avec des professionnels.

Mon tout premier stage s’est déroulé au Théâtre Dunois à Paris, un théâtre spécialisé dans le jeune public. J’ai adoré cette expérience ! La médiation fut une évidence mais non assumée à ce moment-là car la précarité du métier face à l’énergie déployée et au manque de reconnaissance me faisait peur. J’ai donc choisi de reprendre mes études en imaginant travailler en compagnie pour accompagner des artistes tout en gardant un lien avec les publics. Après un Master 1 Administration du spectacle vivant puis un Master 2 Direction de projets et développement culturel, j’ai eu la chance de décrocher le poste de mes rêves : coordinatrice d’une compagnie de théâtre spécialisée sur les projets de territoire. Je gérais tout mais je me suis rendue à l’évidence, le seul endroit où je m’éclatais vraiment c’était la médiation culturelle ! Au fil des expériences, j’ai découvert différents pans de la médiation en travaillant dans des contextes variés : coordination de projets participatifs, d’actions culturelles de territoire...

J’ai ensuite eu l’occasion d’intégrer l’équipe d’un théâtre et de découvrir l’éducation artistique et culturelle. La médiation ne consistait plus simplement à coordonner des projets mais aussi à intervenir sur des ateliers, à accueillir le public et à l’accompagner. J’ai ainsi pu expérimenter des dispositifs, créer des ateliers et des outils, accompagner des publics sur des parcours et notamment le jeune public ! Ce fut une révélation : elle était là la synthèse entre l’art et l’éducation, entre travailler dans le monde culturel et auprès des enfants.


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Logo des Regards en Miroir

- Quelle a été votre motivation à créer votre propre structure, des Regards en Miroir ?


Plusieurs raisons m’ont poussée à créer mon auto-entreprise : retrouver plus de liberté et de créativité dans mon métier, avoir le temps de penser et de chercher pour innover et non reproduire les mêmes schémas. Je souhaitais travailler sur des projets à géométrie variable en me concentrant sur le cœur de la médiation : accompagner et valoriser l’expérience de spectateurs. Être indépendante me permettait aussi de renouer avec mes premiers amours : accompagner des artistes en création mais spécifiquement sur des projets de médiation et aussi travailler sur des projets de territoire. Je souhaitais aussi pouvoir me spécialiser auprès de la jeunesse et ouvrir les champs artistiques. En imaginant des dispositifs de médiation qui considèrent l’individu dans sa globalité (corps, émotions, imaginaire, esprit critique), j’ai commencé à m’intéresser aux dialogues des pratiques artistiques : littérature jeunesse, cinéma d’animation et arts plastiques. Je souhaitais donc pouvoir m’adresser à des structures culturelles différentes, aussi bien des musées, des cinémas que des salles de spectacle. Et enfin, je souhaitais pouvoir travailler dans des temporalités différentes. Intervenir ponctuellement auprès de publics divers (de 3 à 18 ans, ruraux ou citadins) sur des projets de 10 ou 20h parfois même moins, mais aussi en accompagner d’autres sur le long terme, sur une année voire plus…


Atelier de médiation Compagnie Philippe Saire
Conception et animation d’ateliers de médiation culturelle « Éveiller le regard » - Spectacle « Hocus Pocus » Cie Philippe Saire

Dans la construction de mon auto-entreprise, j’ai eu une première année de recherches afin de définir très précisément mes envies et comment répondre de manière réaliste et pertinente aux constats que j’avais pu réaliser : proposer des expériences immersives, travailler en complémentarité des artistes sur-sollicités sur les projets d’actions culturelles… Une seconde année fut ensuite consacrée à la structuration et au développement de mon réseau. En effet, j’ai profité de changer de territoire pour lancer mon projet mais il y avait tout à construire ! Je suis actuellement dans ma troisième année d’auto-entreprise qui correspond à la phase de développement. Le contexte n’est évidemment pas simple mais j’ai trouvé un équilibre. Aujourd’hui, je collabore avec des artistes en compagnie, en concevant et animant des ateliers en lien avec leur spectacle. J’interviens dans des structures culturelles (théâtre, musée) en concevant des parcours art-philosophie en solo ou en collaboration en fonction des projets. Enfin, j’interviens ponctuellement auprès de structures éducatives (écoles, collèges, centres de loisirs…) et aussi à l’année dans l’association Les Petits Plus composée d’une école à pédagogie plurielle et d’un pôle loisirs. Je suis responsable pédagogique du Pôle Loisirs et j’ai la chance de mettre en œuvre un projet « Art et philosophie » pour les enfants de 3 à 10 ans que j’accompagne chaque mercredi de l’année.


Atelier « Art et philosophie », Les Petits plus : 5 ateliers pour s’initier à l’expression théâtrale et donner vie aux albums jeunesse en explorant les différentes composantes du théâtre : l’espace, les émotions, la voix, le mouvement et les démarches de personnages.


Atelier « Art et philosophie », Les Petits plus - Des regards en Miroire
Atelier « Art et philosophie », Les Petits plus :

Parcours de médiation culturelle pour explorer la couleur bleue en lien avec les émotions et des questionnements philosophiques : la tristesse, le voyage, les rêves…



- Vous mettez notamment en place des actions de médiations permettant de créer des expériences à la fois sensorielles, immersive et coopératives : les « explorations sensibles ». Pouvez-vous nous faire découvrir votre concept plus en détails ?


Les explorations sensibles ou explorations art-philosophie sont une démarche de médiation qui consiste à valoriser l’expérience de l’individu en prenant en compte la globalité de sa personne : son corps (d’où l’importance de proposer des temps en mouvement, des jeux théâtraux ou d’expression corporelle), ses émotions (sa capacité à nommer son ressenti et à le mettre en partage), son imaginaire (sa capacité à penser autrement, à s’autoriser à imaginer d’autres possibles et à inventer des histoires) et son esprit critique (la capacité à raisonner, à questionner, à douter, à s’étonner, etc.). L’idée est de proposer des médiations qui relient ces différents aspects dans une dynamique de connexion à soi pour se connecter aux autres. C’est pourquoi il y a aussi une dimension de coopération et d’intelligence collective. C’est notamment le sens des Regards en Miroir. C’est dans le regard de l’autre que je me reconnais, que je me démarque… C’est le mouvement des regards qui se croisent, de part et d’autre : les individus, les artistes, les œuvres. Qu’est-ce qu’on regarde ? Comment on regarde ? Prendre conscience que c’est la manière dont on voit les choses qui les transforment. Aller au-delà de l’image pour toucher les sensations.

Atelier “Valoriser l’expérience de spectateur” autour du spectacle in situ Brumes – Cie Echos Tangibles au sein du collège Stendhal à Fosses.


Concrètement, cette démarche de médiation consiste à proposer une articulation d’expériences en passant par le mouvement, l’expression plastique et des temps d’échange. L’idée n’est pas de proposer une succession d’activités mais un entremêlement d’approches. J’aime travailler dans une dynamique de parcours autour d’un thème philosophique ou artistique (découverte d’une discipline, d’un artiste…). L’espace est pour moi très important, il doit plonger les enfants dans l’expérience. Quand les ateliers peuvent se faire in situ (plateau de théâtre, salle d’un musée) c’est l’idéal. Autrement, j’aménage un espace dédié : il y a des reproductions d’images affichées au mur et des livres jeunesse à disposition (albums ou documentaires, des jeux aussi, parfois créés pour l’occasion). Pour introduire un thème, je passe par des brainstormings pour décrypter leur imaginaire et des photo-langages afin de partir de là où ils sont, de leur référence. Puis nous explorons le thème en découvrant des livres, des images, des vidéos, en réalisant des jeux théâtraux. Par exemple, j’ai récemment mené un parcours autour de l’ombre et de l’illusion avec des collégiens. Il s’agissait d’éprouver par le corps ce qu’est l’ombre avec des jeux théâtraux puis d’enrichir les questionnements avec l’album jeunesse « Moi, mon ombre » pour aboutir sur un temps de discussion à visée philosophique. Durant la séance suivante, nous avons poursuivi nos explorations en découvrant l’allégorie de la Caverne de Platon et en réalisant une initiation au théâtre d’ombre. Les explorations nécessitent du temps. Les ateliers durent en moyenne selon la tranche d’âge entre 1h30 et 3h et se déploient dans des parcours. Dans une société où tout va vite, militer pour des temps longs et un ralentissement est un vrai combat ! Innover ce n’est pas forcément inventer des dispositifs technologiques incroyables, c’est avant tout s’autoriser à sortir des cases, à faire du sur mesure, à tisser des liens et à placer la relation au cœur des enjeux pour vivre des projets singuliers.


Exploration Art-Philo : Ombre et illusion
Exploration Art-Philo : Ombre et illusion

- Vous pratiquez « la médiation en mouvement » : pouvez-vous nous expliquer cette forme particulière de médiation et dans quel contexte vous l’adoptez ?


Le mouvement est pour moi fondamental car nous pensons autant avec notre tête qu’avec notre corps tout entier. C’est souvent par le mouvement que je démarre mes ateliers. Ce travail corporel permet de poser les conditions essentielles au bon déroulement d’un atelier : être ancré dans son corps et disponible, être à l’écoute des autres et en confiance. Travailler en coopération nécessite d’être disponible à soi et aux autres. Évidemment, lorsque j’interviens 2 fois 2h, je ne fais pas de miracles mais il me semble essentiel de proposer des dispositifs qui cassent les codes : un intervenant debout et les enfants assis devant leur table. On bouge les tables, on marche dans l’espace, on s’assoit en cercle, en groupe entier ou en petits groupes. C’est dynamique, c’est vivant ! Pour moi c’est la base de l’art, révéler la vie qu’il y a en nous et la mettre en partage. Cette démarche m’oblige à être exigeante envers moi-même avec une posture de bienveillance accrue : formuler des consignes de manière positive, souligner les atouts et non les manques. Nous partageons une expérience commune pendant un temps avec nos différences, nos forces et nos vulnérabilités et mon rôle est de veiller à ce que chacun puisse prendre sa place et laisser la place. C’est une responsabilité partagée. Et ce n’est qu’en l’éprouvant par le corps et le mouvement que cela a du sens. Par exemple, avoir conscience que je suis assise devant quelqu’un et me décaler, regarder l’autre et le considérer en marchant et en partageant un même espace.


atelier médiation culturelle
Atelier Exploration « Mouvement et Arts plastiques »

L’enjeu est de relier l’expérience à la connaissance, d’éprouver pour conceptualiser. Toute cette réflexion s’est construite au fil d’observations, des heures d’ateliers partagés avec des artistes, d’une pratique théâtrale, des lectures sur le développement de l’enfant mais aussi de formidables formations. Il y en a eu plusieurs mais je citerai en exemple « Le théâtre forum » avec le théâtre de l’Opprimé, « La pédagogie de la coopération » avec Isabelle Peloux qui fut d’une richesse incroyable pour avoir conscience des dynamiques de groupe et des enjeux de Communication Non Violente. Et aussi, ce qui fut un tournant dans mon travail de médiation, la formation « Itinéraire : accompagner les publics » avec Jean-Noël Bruguière et Florence Chantriaux, tous deux issus de l’Education Populaire. Ils ont une remarquable approche des individus avec des valeurs d’humilité, de sensibilité et d’exigence. Pour moi, parler d’humilité est essentiel car ce n’est évidemment pas avec un projet de 2h ou 20h que l’on change le monde mais dans la balance il y a aussi la générosité : proposer des dispositifs qui valorisent l’individu et le pouvoir de l’art et de la philosophie à investir pour se connecter à soi et aux autres. C’est en regardant l’autre avec bienveillance et avec générosité qu’une rencontre peut ouvrir d’autres possibles.


Médiation culturelle - atelier enfant
Atelier Exploration « Mouvement et Arts plastiques »


- Comment imaginez-vous le développement de votre structure pour les années à venir ?


Je conçois des Regards en Miroir comme un espace d’échange et de collaborations inventives. C’est d’ailleurs pour cela que des sections du site internet sont consacrées à des articles et à des collaborations. Les articles sont l’occasion de réaliser des coups de projecteur sur d’autres médiateurs, médiatrices principalement, indépendantes qui développent des projets innovants. J’ai le souhait que l’on puisse toutes se fédérer dans un collectif de médiateurs indépendants afin de valoriser nos pratiques. D’autres articles sont dédiés à de la recherche en médiation culturelle, en éducation artistique et culturelle et en développement de l’enfant. Je consacre beaucoup de temps à lire, à faire de l’analyse de pratique et à questionner nos pratiques afin de réfléchir à l’enjeu de l’Education à l’art, l’Education par l’art où comment l’art et la philosophie participent au développement de l’enfant. J’ai à cœur de permettre la « vulgarisation » et la diffusion de ces recherches auprès du monde des médiateurs, des enseignants et de toutes personnes qui s’intéressent à ces sujets afin de s’emparer de ces questions au-delà de l’effet de communication des appels à projets. C’est dans cette dynamique, que j’ai réalisé en janvier dernier une conférence « Exploration Art et Philosophie » dans le cadre du Festival de l’Apprendre. Pour partager plus globalement ces travaux, je réfléchis à développer ces sujets sous la forme d’un podcast mensuel en y invitant des chercheurs et des médiateurs qui créent des dispositifs innovants. Enfin sur le long terme, je rêve d’un collectif local pluridisciplinaire composé de sociologues, de philosophes, de designers, d’artistes où chacun en apportant ses compétences permettait de créer des dispositifs innovants au plus près des publics. A la ville ? A la campagne ? Je ne sais pas encore. Pour le moment, je suis heureuse à Lyon mais des envies de nature et de tiers lieux à la campagne me tenteraient bien pour la prochaine décennie. Mais d’ici là, cultivons le moment présent et la qualité des rencontres !



Mille mercis Emilie d’avoir partagé vos expériences avec autant de plaisir et d’authenticité. Nous vous souhaitons de formidables réussites dans tous vos projets pour les années à venir !


 

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Portrait d'Emilie Lebel : ©Corentin Fohlen

 

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