Clara de A.
Quand la beauté soigne : à la découverte de l’association « L’invitation à la beauté »
Aujourd’hui, Mon Cher Watson est heureux de rencontrer Laure Mayoud, fondatrice et vice-présidente de L’invitation à la beauté. Cette association propose la thérapie par l’empathie esthétique, à travers ce qu'elle appelle « prescriptions culturelles » et des actions menées dans les hôpitaux. Quel programme ambitieux !
Pierre Lemarquis, président de l’association et neurologue, vient d’ailleurs de sortir son dernier livre L’art qui guérit aux éditions Hazan.
En cette période difficile, Laure Mayoud nous rappelle que la beauté permet de se remettre en conversation avec soi pour se soigner, panser ses maux. Qu’est-ce que la beauté ? Pour notre interviewée, la beauté ne peut pas être conceptualisée car elle s’exprime de manière unique en chacun. Elle se glisse souvent dans les plis de nos vies avec douceur et élégance.. Il est important de noter que la beauté ne se réduit pas à la notion d’esthétique. William Shakespeare le rappelle clairement dans sa pièce Macbeth (Acte I, scène 1) : « (…) le beau est affreux, et l’affreux est beau. »

- Bonjour Laure, pouvez-vous nous présenter votre parcours professionnel ?
Mon parcours s’est construit par tâtonnement, en écoutant le monde et les personnes autour de moi. D’origine marseillaise, j’ai, depuis toute petite, été très curieuse et contemplative : Marseille est une ville ouverte, ancrée dans la diversité. J’aime appréhender les choses et les personnes sans jugement, c’est aussi ce qui fait que je suis devenue soignante. La rencontre avec la philosophie au lycée m’a donné l’envie d’être psychologue et mon désir de mélanger la culture au soin psychique m’a conduit, de fil en aiguille, à des études de psychologie à l’université de Lyon II, où j’ai appris les bases de la psychologie clinique. Je me suis ensuite spécialisée en psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent à l’université Toulouse Jean Jaurès. Mes expériences en tant que bénévole, que ce soit dans les quartiers défavorisés de Lyon, Los Angeles, et Toulouse, suite à l’explosion de l’usine AZF, ou dans l’association « Sol En Si » (Solidarité enfants sida) auprès des enfants hospitalisés à la Timone à Marseille, ont confirmé ce désir de lier le social à la clinique. Hippocrate définit d’ailleurs la clinique : « au pied du lit du malade ». Cela m’a aussi permis de rencontrer de belles personnes qui m’ont donné envie de continuer à oser cultiver mes rêves d’enfant.
- Comment vous est venue l’idée de créer l’association L’invitation à la beauté ? Quels sont sa fonction, ses projets et ses missions ?

Je vais vous raconter le début de cette histoire. Un jour, lors d’une séance, j’ai proposé à une étudiante « Ça vous dirait que je vous propose une prescription culturelle ? », de manière totalement spontanée. Cela a marqué le point de départ de tout le reste. C’est dans l’alchimie de la rencontre que cela s’est produit. En écoutant son empathie esthétique, je lui ai prescrit le poème Et un sourire de Paul Eluard.
Une prescription culturelle, c’est un mot d’esprit, un jeu de mots qui crée fréquemment une surprise agréable chez les personnes que j’écoute. Ces propositions cathartiques sont des opportunités pour prendre soin de soi et des autres, parmi tant d’autres, comme l’art thérapie. Ce sont des invitations à la contemplation et non à la création car parfois les patients sont dans une incapacité à créer pour des raisons personnelles. Toutefois, suite à ces invitations, ils (re)prennent goût à écrire des poèmes, peindre, composer de la musique… Voyant les réactions très positives des étudiants, j’ai continué à proposer ces prescriptions culturelles.
Une étudiante en donnera sa définition : « Dans le monde où tout doit se soigner par les médicaments, les prescriptions culturelles me sont apparues comme quelque chose d’incroyable. On ne parle plus de maladie, on parle de ”nourriture pour l’âme” ».
Puis, un jour, je découvre grâce à l’émission « La beauté qui soigne » de la série documentaire LSD sur France Culture la découverte des neurones miroirs par Giacomo Rizzolatti et son équipe, biologiste, médecin et physiologiste, et le travail admirable de Pierre Lemarquis, en tant que neurologue auprès de ses patients. Je rencontre ce dernier, une personne profondément empathique, ouverte d’esprit et inventive dans sa pratique soignante.
L’idée de fonder l’association m’est alors apparue évidente. J’envisageais alors l’association comme un espace de rencontres, de réflexions, et j’ai demandé à Pierre Lemarquis d’être le président de l’association. C’est un rêve depuis petite de vouloir soigner avec le beau, que j’aborde de manière essentielle. Notre capacité à nous sublimer, à passer de la pulsion de mort à la pulsion de vie, vient de notre rencontre avec la beauté. Ma démarche, en tant que soignante, est de me concentrer sur l’empathie esthétique de chacun, de la réactiver et de réanimer les « madeleines de Proust » de chacun pour qu’elles se distillent dans l’être.

Pour évoquer un peu l’Invitation à la Beauté en détails, celle-ci compte aujourd’hui environ 200 adhérents et bénéficie d’un mécène, le Fonds de dotation Capsule d’art. Elle est aussi sous le patronage de la Commission nationale française de l’UNESCO.
L’association développe de nombreux partenariats, notamment avec la Faculté de Médecine et de Maïeutique de Lyon Sud et avec les Hospices civils de Lyon, l’Auditorium – Orchestre national de Lyon, le Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape, le Centre national d’art vocal Spirito, le trio Jazz « Poudre », ou encore avec Agnès b. Ce dernier partenariat donnera d’ailleurs lieu à des expositions à Lyon, Marseille et Paris.
En raison de la crise sanitaire actuelle et du confinement, notre colloque annuel de recherche, qui devait se tenir ce mois-ci à la Faculté de Médecine et de Maïeutique de Lyon Sud, sous le patronage de la Commission nationale française de l’UNESCO, se tiendra les 27 et 28 mai prochains.
Avec Noémie Calemard, notre médiatrice culturelle, et Pierre Lemarquis, nous avons créé une artothèque en synergie avec une poéthèque dans le service de médecine interne à l’hôpital Lyon Sud. Nous pré-sélectionnons les artistes (photographes, peintres, street artists, illustrateurs), des soignants malgré eux (à la différence des art-thérapeutes) du comité artistique de l’association. Nous n’achetons aucune œuvre d’art, nous procédons par un système de prêt d’un an. Certains artistes ont fait don de leur œuvre comme Big Ben et Zorm, ce qui constitue aujourd’hui un fonds d’artothèque. PEC, street artist lyonnais, va faire une œuvre sur mesure pour les enfants du service de l’hôpital Femme Mère Enfant à Lyon. Les œuvres originales sont ensuite choisies par les patients et accrochées dans leur chambre ; le temps de leur hospitalisation.
Nous avons également des prescripteurs musicaux, à qui nous passons commande. Les très bons résultats cliniques que nous avons obtenus auprès des patients nous permettent désormais d’établir des protocoles qui affineront nos démarches de recherche. Nous avons aussi des retours très encourageants des patients, à l’instar d’Agnès Piessat, qui a mis en scène sa chambre d’hôpital, en compagnie de Big Ben et de Zorm (cf. photographie ci-dessous).« J’ai dû être hospitalisée deux fois à quelques mois d’écart ; la première hospitalisation m’a permis de découvrir la force de l’art dans l’arsenal thérapeutique, cet effet puissant qu’il a de nous faire sortir de notre maladie pour s’ouvrir aux autres, et notamment au personnel soignant. Il favorise les échanges et nous fait oublier la lourdeur des soins pour se pencher sur des choses plus agréables et surtout inoubliables ; en effet comment oublier Buster Keaton de Big Ben, qui a suscité tant de réactions, et fait naître autant d’échanges ? Comment oublier ce Monkey de la forêt d’émeraude de Zorm, qui avec son sourire et son regard rieur interpellait tellement ? » Agnès Piessat

- Pourriez-vous nous en dire plus sur la thérapie par l’empathie esthétique ? Est-elle reconnue dans le champ scientifique et médical aujourd’hui ou y-a-t-il encore des résistances ?
La thérapie par l’empathie esthétique commence à être reconnue dans le monde, ce qui est une bonne nouvelle ! En tant que responsable de stage auprès d’étudiants en psychologie, je suis vraiment heureuse de constater que cette nouvelle génération de soignants est tout à fait en harmonie avec ces nouvelles méthodes de soin. Les prescriptions culturelles permettent, par la contemplation de la beauté grâce à l’empathie esthétique, de créer une fusion entre le corps et l’esprit... Comment je procède ? En début de séance, je demande à chaque patient : « Comment vous vous sentez ? ». Après avoir écarté toute contre-indication, je lui propose de choisir à partir de trois huiles essentielles - présélectionnées par moi en fonction de son état émotionnel. A chaque fois, il ressent un profond apaisement grâce à la libération de ses neurotransmetteurs comme la dopamine, la sérotonine, la noradrénaline et l’ocytocine, engendrant donc la libération de ses émotions, de ses affects. Après cet apaisement physique grâce aux huiles essentielles, je propose de partager un poème avec le patient. Il écoute un poème que je lui récite par cœur tout en inhalant l’huile essentielle qu’il a choisie : ainsi le patient inhale le poème et ce dernier se distille dans tout son être. Le corps, à cet instant, fusionne avec l’esprit. Ainsi, avec les patients, je travaille précisément avec les effets somato-psychiques soignants. Je souhaite que, pour chaque patient, ces invitations à contempler soient les plus légères possibles, les plus simples, les plus tendres, les plus parfumées. Ces espaces de soin sont des aires de jeu sans enjeux (en résonance avec le fabuleux travail de soignant de Donald Winnicott). En définitive, je propose un soin par le jeu pour soigner le je.
- Comment s’opère le travail de collaboration avec les acteurs et professionnels du champ sanitaire, social, sportif, économique et culturel qui ne sont peut-être pas familiers avec cette pratique ?

Nous travaillons depuis plusieurs années avec les Hospices Civils de Lyon et avec la Faculté de Médecine et de Maïeutique de Lyon Sud. Dans des services hospitaliers accueillant des patients souffrant de différentes pathologies, nous conduisons des recherches appliquées sur les prescriptions culturelles. Au niveau social, nous sommes en partenariat avec le Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape, une ville en banlieue lyonnaise. Nous travaillons avec eux autour de prescriptions dansantes dans les milieux défavorisés.
Par ailleurs, chaque année, nous allons de ville en ville offrir « quatre saisons de l’Invitation à la beauté ». Ces « éclats de beauté » s’intéressent à la rue, un des laboratoires de recherche. Ces rencontres inédites et improvisées, orchestrées par nos prescripteurs artistiques et musicaux, dont le trio de Jazz « Poudre » avec lequel nous avons coutume de travailler.
Eclat de beauté à Lyon ©Laure Pichat
- Y-a-t-il des œuvres plus utilisées que d’autres dans le cadre d’une thérapie par l’empathie esthétique et, si oui, pourquoi ? Avez-vous, à titre personnel, quelques coups de cœur à nous partager qui vous ont aidée au cours de votre vie ou de votre carrière ?
Pendant les séances, je propose des poèmes avec lesquels je suis déjà en empathie. Un jour, après avoir lu le chapitre 21 du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, une étudiante m’affirme : « Mais vous, vous avez six ans quand vous le lisez ! ». J’étais profondément émue d’un tel compliment. Les poèmes comme Et un sourire de Paul Eluard sont apaisants et cicatrisants. J’évite de prescrire des poètes qui contemplent uniquement le désespoir, la mélancolie car ce sont des contre-indications pour des patients qui souffrent de ces symptômes psychiques.
Toutefois, par exemple, le Sonnet 30 de Shakespeare est principalement douloureux (« Je souffre au dur retour des tortures souffertes ») mais les deux derniers vers apportent un interstice de possibles : « Et j’acquitte à nouveau ma dette de malheur / Mais alors, si mon âme, Ami, vers toi se lève / Tout mon or se retrouve et tout mon deuil s’achève ».
Par l’intense traversée de ces affects, accompagné par l’écrivain (« le livre est un remède car nous sommes en compagnie » Montaigne), le patient est plus en capacité de cicatriser ses blessures, de s’ouvrir en lui et ainsi de rêver. Oscar Wilde nous dit : « La sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue quand on les poursuit. ». Il m’arrive aussi de prescrire l’écoute d’émissions sur France Culture, comme « Philosopher avec Jacques Tati : Playtime, le burlesque grandeur nature », « Le rire de Bergson », « Comment devenir vertueux avec Vladimir Jankélévitch ».
Finalement, le poème Liberté de Paul Eluard donne du courage à l’ouvrage dans cette période délicate pour celui qui prend le temps de s’y plonger. Durant le confinement, je vous propose de naviguer sur notre site sur lequel seront ajoutées régulièrement des prescriptions culturelles fraîches et inspirantes pour soigner les maux par de beaux mots, c’est-à-dire des mots qui sonnent juste en vous.
Continuons à ouvrir le monde ensemble par la beauté, accompagnés de Paul Eluard avec sa somptueuse pensée : « Un cœur n’est juste que s’il bat au rythme des autres cœurs. »

Merci à Laure Mayoud de nous avoir partagé sa vision de l’art qui guérit !
(c) Le portrait de Laure Mayoud est signé Eric Saillet
En savoir plus sur l’association L’invitation à la beauté :
Leur site Internet

Le 22 octobre 2020, Christophe Averty publie sur le site du Monde l’article “Quand la science prouve que l’art fait du bien”. La vision d’une œuvre stimule les deux facultés de notre cerveau : le plaisir et la connaissance, explique Pierre Lemarquis, neurologue et auteur de « L’Art qui guérit », à paraître.

Pour aller plus loin :
Lire d’autres enquêtes sur le thème “médiation culturelle” “Art-thérapie”
Lire l’enquête précédente : "SIPC20 #1 : le salon du patrimoine culturel, une référence du secteur"