Apprentissage et enseignement de la musique par l'exemple de la flûte à bec
La pratique musicale amateur est une des activités artistiques les plus prisées par le public. En 2000, d'après une étude du ministère de la Culture, plus de 5 millions de Français pratiquaient un instrument. En 2008, on comptait 450 conservatoires et plus de 2500 écoles de musique.
Rencontre avec l'art, création de lien social, convivialité, la pratique de la musique reste un enjeu majeur du secteur musical. Son apprentissage est donc crucial pour l'évolution de la discipline. Industries musicales, salles de concert, mais aussi facteurs d'instrument et enseignants sont concernés.
La flûte à bec est bien souvent le premier contact avec un instrument de musique. En 1934, la flûte est recommandée par l'Education Nationale au collège. Jusqu'en 2008, des millions d'élèves de 11 à 14 ans pratiquent la musique en classe. Souvent décrié, la réputation de cet instrument reste intimement liée à l'apprentissage scolaire.
Mon cher Watson a enquêté du côté de l'association ERTA France, qui regroupe des enseignants et facteurs de flûte à bec, auprès de sa présidente Anne Leleu. Nous nous sommes employées à comprendre les clichés autour de l'instrument, les enjeux de son apprentissage mais également l'importance du réseau pour aider les professionnels de l'enseignement dans leur vie de tous les jours. Enfin, nous vous proposerons de (re)découvrir certaines des plus belles pièces musicales pour flûte à bec, avec les coups de cœur d'Anne Leleu.

- Bonjour Anne, pouvez-vous nous présenter votre parcours professionnel ? Comment/pourquoi êtes-vous devenue flûtiste à bec ?
J'avais environ 12 ans lorsque j'ai entendu Manfred Stilz jouer le concerto en DO majeur de Vivaldi ! A l'époque, la flûte à bec était quasi inconnue en France ; il n'y avait aucun enseignement organisé. Lorsque j'ai demandé à mes parents d'apprendre cet instrument, ils m'ont acheté une flûte en plastique Dolmetsch et une petite méthode. Je pratiquais le piano et recevais une formation musicale classique. Je me suis donc débrouillée seule. Devant mon intérêt pour cet instrument, et sans professeur pour m'enseigner, ils m'ont inscrite en classe de… flûte traversière !
C'est seulement à 18 ans, à la faveur d'un déménagement, que j'ai pu entrer au Conservatoire de Versailles et recevoir des cours de flûte à bec !
J'ai aimé cet instrument car il est simple (pas de technologie compliquée) et raffiné. J'aime les vibrations qu'il crée dans le corps, proches de celles du chant. J'aime créer un son avec le souffle, le modeler, c'est comme une caresse de l'âme. J'ai l'impression de toucher l'intime de ceux qui m'écoutent. C'est un instrument que je ressens comme transparent, limpide. J'aime aussi son côté volubile, exubérant.
J'ai eu la chance d'un parcours fluide : prix d'excellence au CRR de Versailles, Certificat d'Aptitude dans la foulée, et quelques années plus tard, un poste titulaire au CRD de Mantes-en-Yvelines.
- Quelles sont les caractéristiques de l’apprentissage de la flûte à bec en France ?
Aujourd'hui, la flûte à bec est enseignée dans les Conservatoires (communaux, départementaux ou régionaux), généralement dans le département de musiques anciennes, par des musiciens-enseignants diplômés de Musique Ancienne, option flûte à bec. Ce musicien a souvent des compétences dans un autre instrument (clavecin, viole de gambe, traverso, hautbois baroque....) Ceci est à l'image de la situation des musiciens avant la pratique de l'historicité musicale qui date du milieu du XIXème siècle : le musicien joue la musique de son époque et de son pays, il est fréquemment multi-instrumentiste.
Il existe également un enseignement en milieu associatif, donc non réglementé par le ministère de la Culture, qui répond à la demande des participants. Il est souvent calqué sur l'enseignement en Conservatoire, mais pratique plus le jeu d'ensemble et moins l'historicité. Il y a certainement aussi des cours particuliers qui échappent à tout recensement.
L'enseignement professionnel est dispensé dans les Conservatoires Nationaux Supérieur (Lyon) ainsi que dans les Centres d'Études Supérieures de Musique (autres régions).
Notons qu'il n'y a plus d'utilisation obligatoire de la flûte à bec dans l'enseignement général depuis 2008, après 40 ans de pratique généralisée et imposée dans les programmes.

- Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’apprentissage de la flûte à bec, et de la musique en général, ces dernières années ?
Lorsque j'ai commencé à enseigner, en 1975, les élèves (enfants) commençaient à 9 ans, après un an de solfège souvent sélectif. A partir des années 90, j'ai reçu des élèves parfois âgés de seulement 5 ans, ne sachant lire ni le français, ni la musique. Nos méthodes d'enseignement se sont donc adaptées à cette évolution : plus ludiques, utilisant le jeu d'oreille et les chansons pour un apprentissage en douceur.
La plus grande évolution dans la vie des jeunes enfants a été le travail généralisé des deux parents. Cette situation implique le recours à des modes de garde collectifs ou individuels souvent peu compatibles avec les exigences du Conservatoire : 2, voire 3 plages horaires de cours dans la semaine. Je connais aujourd'hui beaucoup de jeunes parents qui ne peuvent absolument pas envisager d'inscrire leur enfant à une activité en dehors de l'école à cause de ce travail bi-parental, d'horaires décalés, de non-autonomie des adolescents dans leurs transports. C'est une évolution sociétale dont nous devons tenir compte. J'imagine que les techniques modernes de communication (visio-conférence) nous permettraient d'enseigner en partie à distance... A moins d'intégrer la musique à l'emploi du temps scolaire !
D'autres solutions se mettent en place avec l'orchestre ou le chant choral à l'école, les horaires aménagés musique. Le modèle « Conservatoire » doit s'adapter aux jeunes enfants du XXIème siècle, dont les deux parents travaillent, qui restent à la cantine et en garderie périscolaire.

- Pouvez-vous nous présenter ERTA et votre rôle dans l’association ? Quel est l’intérêt pour des professeurs de musique de se retrouver en réseau ?
Avec quelques collègues, j'ai créé European Recorder Teachers Association (ERTA) en 2010, alors que d'autres ERTA existaient en Europe parfois depuis 30 ans. Cette association a pour but de créer du lien entre les musiciens-enseignants la flûte à bec. Nos adhérents sont majoritairement des musiciens-enseignants en Conservatoire ou assimilés, mais aussi des facteurs, des compositeurs ou des grands amateurs. J'en suis la Présidente depuis la création en 2010. Ma fonction est celle de tout président d'association : avec mes collègues élus au Conseil d'Administration, je mets en œuvre les actions décidées par l'Assemblée Générale, je veille à la bonne réalisation des différents actes indispensables à la bonne marche de l'association (trésorerie, secrétariat, compte-rendus...).
Notre action la plus permanente est la tenue de notre site internet. Il est le reflet de la vie flûtistique en France : nous y publions des articles de fond au sujet de la flûte à bec, et surtout, nous annonçons les sorties de CD et de partitions, les concerts et les stages relatifs à cet instrument. Les musiciens-enseignants la flûte à bec ont besoin de contacts avec leurs pairs, et chacune de nos rencontres est un formidable moteur pour tous.
- Vous organisez régulièrement des congrès de l’association. Quels sont les objectifs de ces journées ? Quand aura lieu la prochaine édition ?
Effectivement, nous organisons une rencontre tous les 2 ans. Nous veillons à changer de région pour chaque opus, et varions les thèmes. Notre dernière rencontre était à Tours, autour de la musique renaissance, en partenariat avec Doulce Mémoire. Vous pouvez lire le compte rendu ICI.
Nous avions organisé d'autres Rencontres à Montargis en 2013, ainsi que les Biennales de la flûte à bec à Strasbourg (en collaboration avec European Recorder Players Society). Voir la vidéo de la rencontre.
Notre prochaine Rencontre aura lieu à Douai, les 24 et 25 mars 2018. Nous y présenterons la musique contemporaine pour flûte à bec : un concert, des scènes ouvertes pour les élèves et les amateurs, des ateliers thématiques, une conférence sur l'acoustique, une exposition de flûtes du monde entier... Bref tout pour découvrir les aspects les plus insoupçonnés de la flûte à bec d'aujourd'hui !
- Une œuvre pour la flûte à bec à nous faire découvrir ?
Il est très difficile de n'en citer qu'une car le répertoire est très étendu, du Moyen Âge à l'époque contemporaine. La pratique de la flûte à bec est même attestée il y a 40 000 ans !
S'il n'en fallait qu'une, je citerais le 4ème concerto brandebourgeois de J.S.Bach, composé pour violon, 2 flûtes à bec et orchestre à cordes en 1721. Bach a spécifié l'usage de la flûte à bec pour ce concerto. Il utilise ici les flûtes alto particulièrement à la mode au XVIIIème siècle.
Mais j'aimerais aussi présenter Der Fluyten Lust hof (1649) de Jacob van Eyck, musicien établi à Bruges et ayant noté les improvisations qu'il jouait sur des thèmes populaires. Ici Doen Daphne. C'est un « tube » de la flûte à bec !
Je voudrais faire entendre un grand « consort » de flûtes, en usage à la Renaissance, dans cette gaillarde (ca 1570) de Pierre Phalèse. C'est l'occasion de voir et d'entendre toutes les tailles possibles de flûtes.
Voici également une magnifique pièce de Markus Zahnhausen, un souffle de printemps extrait des Images hivernales (1990). J'aime particulièrement cette écriture contemporaine harmonieuse, consonante, qui renouvelle le langage musical tout en restant dans un vocabulaire classique.
Merci Anne d'avoir répondu à nos questions. Vous pouvez suivre le réseau ERTA sur leur page facebook.

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